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Article N°28467
TV locale des Acteurs Locaux des 2 Savoie - L’Industrie Haute-Savoyarde, un maillon clef de l’industrie française de défense
Le 16 décembre dernier c'est tenue une journée passionnante sur la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD), organisée par la Préfecture de Haute Savoie et le ministère des Armées au 27ième BCA d'Annecy. Cette journée a été un vrai succès permettant de mêler acteur publics, élus, ministère des Armées, et les industriels concernés ainisi que les orgainsations professionnelles organisées.
Ce sont des événements importants et qui se doivent d'intéresser un peu plus le grand public afin de prendre connaissance des enjeux de Défense et de souveraineté, qui nous concernent tous. #BITD74 #DéfenseNationale #Armée
Dans l’imaginaire collectif, le département de la Haute-Savoie, comme celui de la Savoie, sont plus connus pour leurs stations de sports d’hiver ou leurs productions de fromages que pour leurs industries. La Haute-Savoie, pourtant premier département de France en pourcentage pour la part de l’industrie dans son PIB départemental, possède nombre d’industries de pointe et, fait encore moins connu, des entreprises participant à la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD).
La base industrielle et technologique de défense (BITD) regroupe l’ensemble des entreprises de défense qui contribuent à concevoir et à produire les équipements pour les armées. La Direction générale de l’armement (DGA) du Ministère des Armées en est le pivot.
Cette journée réunissait à la fois des industriels, la CPME, l’UIMM, le MEDEF, le SNDEC, la CCI Haute-Savoie, des représentants du Ministère de la Défense et des Armées, le 27ème BCA, le Conseil régional Auvergne Rhône Alpes et des élus de la Haute-Savoie, dont deux sénateurs et quatre députés.
Face à l’évolution rapide du contexte géopolitique, le Général de corps d’armée Denis Mistral, Gouverneur militaire de Lyon, nous a présentés les quatre grands défis que nous devions affronter :
La dé-occidentalisation du monde, avec l’émergence d’un sud global sous la bannière hétéroclite de la Chine, de la Russie, de l’Iran et de la Corée du Nord. Ces quatre acteurs majeurs sont impliqués directement ou indirectement dans le conflit ukrainien.
Le retour du rapport de force brut dans les relations internationales (par exemple en Crimée ou au Haut-Karabakh dans le Caucase), avec l’importance de maintenir notre dissuasion nucléaire pour dissuader de potentiels agresseurs de nous attaquer.
La puissance de l’information et la guerre informationnelle en cours avec le conflit en Ukraine et celui à Gaza.
Le changement climatique, avec ses impacts sur les ressources, notamment agricoles, mais aussi sur des éléments cruciaux nécessaires aux matériels militaires comme les métaux critiques (platinoïdes, terres rares, niobium, etc.).
La Loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2024-2030 a pris en compte ce changement de paradigme et prévoit une augmentation importante de budget pour l’outil militaire avec 413Md€ sur la période, soit 46% de plus que sur la période précédente. Il est à noter qu’elle a été votée à une large majorité au Parlement, témoignant ainsi de l’effort consenti par la Nation, et qui se reflète de façon concrète sur nos territoires.
Au cours de cette journée, l’ensemble des acteurs ont pu interagir et mieux appréhender les enjeux géostratégiques, les objectifs du Ministère des Armées, la LPM et sa déclinaison dans les territoires afin de renforcer l’esprit de défense en Haute-Savoie.
Cette initiative n’est pas propre à la Haute-Savoie ; de tels événements ont déjà eu lieu dans la Loire, l’Ain et la Drôme, et d’autres événements sont déjà programmés dans d’autres départements de la région Auvergne Rhône Alpes. La Haute-Savoie, qui est un département dynamique et industriel doté de savoir-faire d’excellence, est déjà très impliquée dans l’effort de défense. Près de 170 entreprises fournissent directement les Armées ; 70 sous-traitants de l’armement sont dotés de savoir-faire uniques. Ce sont donc près de 2000 emplois du département qui sont concernés par l’activité de défense. Les seuls paiements directs du ministère des Armées aux PME et ETI Haute-Savoyardes atteignent 20 Millions d’euros par an. Une enquête de l’Insee (Insee Dossier n°16 – Novembre 2024) démontre aussi les impacts positifs de la présence d’une base militaire sur un territoire. Cette étude montre que 22000 personnes et 11000 emplois dépendent de la 27ème Brigade d’infanterie de montagne sur le massif alpin, dont le 27ème BCA basé à Annecy est partie prenante.
La plupart de ces entreprises ont également des activités civiles souvent importantes en termes de chiffre d’affaires. Leur savoir-faire unique est souvent un maillon clef dans notre industrie de défense et surtout sur le maintien de notre souveraineté industrielle et technologique. De nombreux intervenants institutionnels ainsi que les élus présents ont pu mettre en avant ces interactions clefs pour notre industrie de défense et les outils mis en place par la DGA ou la DRSD (Direction du Renseignement et de la Sécurité de la Défense) pour s’assurer d’une bonne collaboration entre l’Armée et les entreprises. Il a été rappelé que le ministère des armées est un investisseur qui pèse 26 milliards d’euros en achats directs auprès de 26000 fournisseurs (dont 46% de TPE / 40% de PME et 10% d’ETI). Ont aussi été abordés des sujets comme la réserve dans les entreprises ou de réservistes venant d’entreprises au sein des armées, qui permettent aux mondes civil et militaire de mieux se connaître. Ainsi, des réservistes opérationnels amènent des compétences clefs utiles, y compris aux unités combattantes comme le 27ème BCA (par exemple des dronistes). Lorsque nous parlons industries de défense surgit aussi la partie clef et non négligeable de la sécurité physique ou numérique des sites industriels, y compris ceux dont l’activité ne dépend que marginalement de la défense. Les menaces sont variées et augmentent, compte tenu du contexte géopolitique durci propice aux actions d’ingérences. Les menaces sont diverses et vont de la cyberattaque, en passant par les tensions sur les approvisionnements en matériaux critiques, mais aussi par les mesures de protectionnisme qui viennent de nos principaux alliés. Il y a désormais 7 familles de risques qui pèsent sur nos entreprises : humaine, physique, capitalistique (les acteurs majeurs ici sont les Etats-Unis et la Chine), cybernétique, juridique (lois extra-territoriales américaines et désormais Chine), approvisionnement et réputation. Les industriels présents lors de cette rencontre ont pu exprimer leurs étonnements, notamment sur le décalage entre le discours officiel sur le thème du « nous entrons en économie de guerre » et l’état réel des carnets de commande qui restent vides. Il a été rappelé que pour certains de nos acteurs industriels, la nécessité d’avoir une visibilité à long terme est essentielle, même lorsque l’on est un fournisseur de rang 2 ou 3. En effet, si pour répondre à une commande, il faut au préalable un investissement conséquent en machine et personnel, cela nécessite une planification et des investissements programmés. L’autre sujet abordé a été celui du fameux « couple franco-allemand » qui n’existerait que dans l’esprit de nos dirigeants et qui conduit à des décisions qui vont à l’encontre de l’intérêt de nos industriels, comme le démontre notamment le choix d’équiper l’armée française de fusils d’assauts allemands (HK416 de Heckler & Koch). Le gouvernement français a sauvé l’industriel allemand du dépôt de bilan, mais est-ce bien le rôle de l’Etat français, alors qu’en parallèle nous n’avons cessé de sacrifier notre filière petit calibre aussi bien en armes qu’en munitions de jouer ce rôle ? Il ne nous reste plus que des acteurs locaux comme Verney-Carron (chasse pour le versant civil et fusils mitrailleurs pour le versant militaire) ou PGM précision, entreprises toutes deux présentes au séminaire, pour les fusils de tir de précision (tireurs d’élite pour le versant militaire ou tir de longue distance pour le tir sportif). De ce constat a émergé la volonté de remettre en question les règles des marchés publics qui ne permettent pas d’appliquer une vraie préférence nationale dans la commande pour les PME et TPI. L’autre problématique évoquée est la difficulté de certaines entreprises à trouver des financements, lorsque leur participation à l’industrie de défense vient à être connue, avec le problème des fonds d’investissement dits « éthiques » ou non qui sont très frileux à l’idée de financer des produits ou des entreprises de défense. On ne peut que constater que l’effort nécessaire au réarmement moral de notre société civile face aux défis géopolitiques, technologiques et industriels majeurs de notre temps va être long et laborieux.
D’autres problématiques plus locales ont également été pointées du doigt, comme les difficultés de nos industriels à recruter et à conserver les compétences en étant frontalier avec un pays, la Suisse, en manque aussi de ressources spécialisées qui propose des salaires nettement supérieurs aux salaires français. En Haute-Savoie, la situation économique française et les politiques publiques menées en France depuis plus de quarante ans ont involontairement favorisé l’emploi transfrontalier, avec entre-autre comme effet de bord une flambée des prix de l’immobilier qui complexifie les possibilités pour les salariés de trouver des logements proches de leur lieu de travail. Certains secteurs, comme le Genevois ou le Grand Annecy, sont particulièrement tendus.
Cette journée a eu l’immense mérite de permettre aux industriels qui participent plus ou moins directement à la base industrielle et technologique de défense de se rencontrer et d’échanger ; ce qui leur permettra de se rapprocher pour proposer des projets d’innovation au bénéfice de l’industrie de défense. La participation de nombreux élus à cette journée a permis de faire passer un certain nombre de messages clefs.
Les industriels haut-savoyards ont de nombreux défis à relever. De nombreuses décisions au niveau européen ont eu des impacts importants sur l’industrie locale, en particulier dans le secteur automobile dont toute l’industrie de décolletage de la vallée de l’Arve reste fortement dépendante. Or, le décolletage est aussi très important pour la défense et de nombreux grands donneurs d’ordre comme MBDA ou Thales. Il est donc vital pour l’emploi de ce territoire et pour la BITD de pouvoir soutenir et faire prospérer nos industriels qui produisent sur le territoire et qui irriguent l’économie locale et nationale.